29/12/2007
Ce matin, pas besoin de réveil matin ! Mais cette fois-ci, ce n’est pas à cause des coqs ou des chiens…
Avant l’aube, sous ma fenêtre se commet un crime (probablement justifié par l’approche du réveillon du nouvel an) : on va tuer le cochon ! Il faut dire que la Villa Manallo Lodge dispose de deux magnifiques chambres à vingt mètres du lac ; mais celles-ci sont au milieu d’un mini village de diverses familles alliées disposant de quelques bâtisses en bois et d’une cuisine commune. Un espace au centre de ces habitations permet aux véhicules de se ranger ou aux enfants de jouer. Mais ce matin, c’est le lieu d’exécution du cochon. Aux premiers cris d’effroi du cochon, je sursaute de mon lit. Je regarde par la fenêtre : debout autour des agitations du cochon dont les pattes sont liées par une grosse corde, l’exécuteur aiguise un grand couteau, le proprio de l’hôtel se masse le ventre en rigolant, des aides sont déjà prêts à recueillir le sang pour le cuire dans une gamelle déjà fumante sur le feu. Des femmes, des mômes sont au spectacle.
Je ne sais pas ce que le cochon a compris, mais il hurle. Ses cris viennent de très profond. Je baisse le rideau et prends ma douche, espérant que ce soit terminé en sortant. Pas du tout. Les cris redoublent d’intensité et vibrent dans les aigus alors que le jour se lève. Je range mes affaires au rythme de ces hurlements. Les gens rassemblés ne disent plus grand chose. Et soudain, un cri si aigu et si long … les cheveux se dressent sur la tête. Le cochon est finalement percé par la lame, car ses cris, se mélangeant au sang, se terminent en gargouillis. Puis des râles. Puis plus rien.

Les conversations reprennent, lentement, à voix basse, puis quelques rires, et les gens, visiblement soulagés que l’affaire soit achevée, parlent fort maintenant… Cette exécution sonore ne les a pas laissés indifférents, le regard sur cette mort brutale (et sonore) faisant forcement le lien avec le propre sort de chacun. Je ne sais pas si les millions victimes des holocaustes, en Allemagne, au Rwanda, au Cambodge, avaient hurlé avec autant de puissance leur désespoir avant leur mort, espérant peut-être arrêter le bras de leur bourreau. Pas certain : ce qui est sûr c’est que cette famille passera un bon réveillon.
En sortant de ma chambre, sac sur le dos, l’hôtelier me souhaite bon voyage. Derrière lui, le cochon est couché sur le flanc, paisible, la gorge tranchée, son sang s’écoulant dans une gamelle dans laquelle un aide patouille avec les mains pour éviter que ça coagule…
Jeepney pour Tanauan, gros bourg enfumé, puis bus pour Manille. Ce n’est pas simple à trouver car les indications des gens sont contradictoires. Le chauffeur s’arrête pour moi sur l’autoroute à la hauteur de l’aéroport. Puis taxi pour faire les deux derniers km. Je check in mon sac à 9h. Ça me laisse le temps d’aller en ville jusqu’ à 14h.
Donc, métro pour retourner à Chinatown, Binondo, Santa Cruz, bref les quartiers nord de la ville. Bouffe de quelques dimsums et d’un hot pot de porc (pas dégouté, le gars) au tofu. Très bon. Toujours autant de monde dans les rues ce samedi. L’aéroport est toujours aussi bordélique, entassé et bruyant. Plusieurs avions ont du retard, sauf le mien ! Arrivée à Cagayan de Oro tranquillement.
En ville je trouve un hôtel pour 280P avec sdb et AC, propre !! Il y a un tarif spécial 3 heures (130P), et même un tarif pour douche seulement !
J’obtiens dans une supérette (!) des renseignements pour les bateaux au départ pour l’ile de Bohol car il n’y en a pas tous les jours.
Je m’installe dans un café internet, qui ne sert pas de café, mais qui a 30 ordis en rang, tous occupés : à côté de moi, à ma droite, une femme avec un nourrisson dans les bras qui communique avec le père (?), un blanc. En fait elle passe son temps à chouchouter son mioche, lui dire des mots doux, lui faire des guilis, et tirer sur la ficelle du joujou qui égrène les airs pour bébés, histoire de montrer combien elle est une mère aimante. Aucune conversation. Le môme n’a pas l’air ravi d’être là, il fait chaud, il y a du bruit et les lumières sont très vives. J’en ai un peu ras le bol de ces gargouillis, et vu la tronche du « gars de l’autre bout de la planète », on sent qu’il se contient, mais… A ma gauche, une fille essaye de réserver pour son grand père rochon un billet d’avion sur internet. Le grand père conteste tout, mais la jeune fille est patiente !
Puis je vais manger sur la grande place (Golden friendship park) qui connait une grande animation. Au centre, sur une estrade, des animateurs beuglent dans un micro relayé par des enceintes à 1000W. Autour, les gens se pressent devant les stands de bouffe, où les grills brulent des viandes bien grasse et enfument la place ; des couples, des familles attablées devant des pichets de bière (1L) grignotent des cuisses de poulets. Il fait lourd et il pleut. Les tentures se gonflent d’eau, des poches se forment et se vident à la grande frayeur amusée des convives. Je casse la croute tandis qu’un filet d’eau tombe sur la table. Les mômes jouent à boire l’eau tombée du ciel et d’autres se lavent les mains…
Promenade dans les rues. Dans un grand magasin d’électroménager, c’est la fête : on rit, on danse. La personne qui contrôle les entrées m’explique qu’il s’agit de la fête de fin d’année de la boite. On m’autorise, après palabres, à entrer. Quelle ambiance ! ça crie, ça chante ! Il y a un concours : les règles d’élimination sont en gros, celle de la danse du balai. Pour ce jeu, il s’agit d’hommes assis en rond sur des chaises, avec autant de femmes plus une, dansant autour d’eux au rythme d’une musique contrôlée par un animateur. Les employés spectateurs rigolent bien et applaudissent au son de la musique. Le clou (si je puis dire) : chaque homme est assis les mains dans le dos, et tient, serrée bien droite entre ses cuisses, une aubergine (qui, ici, ont la forme des courgettes chez nous).

Lorsque la musique s’arrête, les femmes doivent s’empresser d’attraper l’aubergine la plus proche ! Cela se passe dans la plus grande confusion, les femmes conquérant leur aubergine de haute lutte sur leur voisine. Cris et applaudissements. Et ça repart, avec un homme en moins ainsi que la femme bredouille qui est éliminée. Mais à la fin du jeu, la gagnante, celle qui a attrapé le plus d’aubergines, reçoit un cadeau de son patron ! Bravo ! (Est-ce ce qu’on appelle un patron paternaliste ?) Il faut dire que lors de cette finale, le dernier homme, au moment crucial, a écarté les cuisses (effrayé par l’ardeur des femmes ?) ; l’aubergine est alors tombée à terre sous la chaise et les deux comparses ont rampé à quatre pattes pour tenter de l’attraper, et ce dans le plus grand brouhaha et ravissement de l’assistance. On est loin des danses rituelles des temps primitifs ….