22/01/2008

Ce matin, il faisait vraiment froid dans la piaule. Je reste sous la couette une bonne demi-heure à casser la croute, emmitouflé dedans. J’écarte enfin le rideau. Double surprise : il a gelé dehors, les arbres sont recouverts de givre, et je m’aperçois qu’il n’y a pas de carreau dans la partie supérieure de la fenêtre ! Il doit faire 0 deg dans la pièce. Autre surprise : pas d’eau chaude à la douche… Voilà ce que c’est que d’arriver tard dans un bled… Je n’avais pas eu la patience de tout vérifier. Après une toilette de chat (j’ai une barbe de 6 jours), après avoir mis deux sous-vet, deux chemises, quatre chaussettes, la casquette, le Kway, et après avoir déposé mon gros sac à la consigne de la gare, puis après avoir acheté un serre oreilles et des gants, je fais le tour des gares routières (j’en ai trouvé 4) pour voir comment rallier un bled cité dans le GB comme étant côté ** dans la catégorie des ethnies portant des costumes étonnants.

Le problème est compliqué, car bien sûr, le GB n’indique pas les noms de lieux en caractères chinois, et le LP ne le cite même pas sur une carte. Je prends un car pour une première ville, Liu Zhi, pour me rapprocher de ce village énigmatique. Vers midi, j’arrive à la gare routière (je suis complètement enfumé), et où, bien sûr, on ne me comprend pas.

En face, il y a un hôtel, où je me renseigne sur les chambres (maintenant, je vérifie tout), et j’en profite pour demander à la réceptionniste, si elle connait Suoga 梭戛, le bled** cité par le GB. Elle est pleine de bonne volonté, mais elle ne sait dire que yes ou no en anglais. Je lui montre la carte achetée à la gare (toute écrite en caractères chinois), et alors elle pousse des petits cris en sautillant : ça veut dire qu’elle connait, et de m’entourer au stylo un bled dont le nom est composé de 9 caractères, ce qui fait beaucoup pour un nom à 2 syllabes… Je retourne à la gare routière, fort de mes nouvelles connaissances, et montre le papier que m’a écrit la réceptionniste, et là, la réponse c’est : Mei Yo = y’en a pas ! Comme je fais la gueule, la contrôleuse des bus en uniforme vert, me prend par le coude et on va sur la grande place où il y a un carrousel bruyant de véhicules, et après 10 mn d’attente (je croyais qu’elle voulait arrêter un taxi…), elle me fait monter précipitamment dans un car déjà bondé, et hop me voilà parti pour Suoga 梭戛 !

Mais dans ce bus, c’est vraiment une galère : en plus des gens qui n’arrêtent pas de fumer, cracher, etc, et après s’être arrêté moult fois pour faire monter des gens (je suis déjà moi-même assis sur un petit tabouret dans l’allée centrale remplie de bagages), voilà que le car tombe en panne. Un problème du circuit d’eau de refroidissement, je crois, vu que le chauffeur et son aide sont montés sur le toit pour dégeler les tuyaux qui alimentent le radiateur. Bref, une heure dans la vue, dans la fumée de cigarettes et le froid (car les gens ne peuvent plus respirer et ouvrent les fenêtres, et dehors il gèle…).

Depuis ce matin, je ne parviens pas à me réchauffer. J’ai un mal de crane du tonnerre. Bon, on arrive dans un bled où les gens du car, qui sont tous au courant de là où je dois descendre, me font presque une haie d’honneur pour me laisser sortir. A peine, descendu, un gars à moto parmi une douzaine qui attendent, me fait signe en m’indiquant que la suite c’est par là-haut. Me voilà parti dans le froid glacial à zigzaguer sur une route boueuse bordée de champs en terrasses et de pitons rocheux, le tout couvert de givre ; il fait de plus en plus froid. On arrive au bout de cette route et là, tout est verglacé : des arbres sont couchés ou cassés par le poids de la glace et les dalles du chemin qui mène au village sont elles aussi couvertes de glace. Le village est en pente, compose de maisons en pierres, le toit en chaume. Quelques-unes sont à l’abandon. La brume passe tout au papier de verre.

Après avoir marché une centaine de mètres sur un chemin comme une girafe sur un fil, et glissé plus d’une fois, je suis interpellé par une femme qui, par de grands gestes me fait comprendre qu’il faut que j’aille chez elle pour y voir ses fameuses coiffures qui font la réputation du lieu. Je la suis, tout en sachant que cette particularité est devenue un objet de commerce. Arrivés chez elle, (ses deux filles nous ont rejoints en chemin), une maison où un homme accroupi se réchauffe au-dessus d’une bassine remplie de braises, avec derrière lui deux paillasses devant servir de lit, la femme m’invite à m’asseoir, et le « spectacle » commence.

Les femmes de ce village ont toutes un habit traditionnel très coloré, et dans les travaux ordinaires, elles portent un bonnet ou une serviette de bain nouée autour de la tête. Les jours de cérémonies, elles coiffent un énorme chignon de laine noire enroulée savamment autour d’une double corne en bois. La femme commence par faire cette coiffe sur sa fille (qui apprécie moyennement). Il y a bien 5 kilos de laine : de centaines de fils de laines de deux mètres de long sont rassemblés en une gerbe. La femme place sous la queue de cheval de sa fille un grand peigne (40 cm) dont les deux extrémités sont légèrement recourbées vers le haut, puis passe la gerbe de laine entre les cornes, puis le front, la nuque et retour, ce qui fait un tas quatre fois plus grand que la tête ; puis elle noue une autre gerbe de laine blanche, cette fois, autour des creux laissés par la gerbe noire, tout en contribuant à la serrer contre la double corne. L’effet est étonnant. La femme recommence avec sa deuxième fille, puis elle se fait sa propre coiffe, avec des gestes d’une précision extraordinaire. Presque une chorégraphie. Ça fait depuis longtemps que le mari est parti dans une autre pièce, blasé … Il reviendra pour la photo de famille … et la commission. Car le spectacle est payant, mais après tout c’est aussi bien ainsi : dans le parc du Nord Yunnan, où j’ai payé 50 Y pour y entrer, ces sous vont directement au gouvernement et il n’y a pas un Y pour les villageois misérables qui y font l’attrait du lieu. Ici, au moins, ça va directement dans leur poche. ….Bien que ce système transforme ces femmes en objets touristiques et que, au final, chacun (les villageois comme les touristes) perd le sens premier de ces traditions… Heureusement, j’ai le GB qui explique avec application tout ça !

Ça gèle

J’erre dans le village sous la conduite de mômes qui me promènent de chaumière en chaumière, et même à un puits où des femmes lavent du linge, en marchant dessus, alors qu’il gèle !! Et ça rigole bien ! En quittant le village, les mômes me réclament des sous et je leur donne 10Y à se partager…

Pas de moto au bout de la route, je commence descendre à pied, puis un motocycliste me prend, jusqu’au village de la grande route, où un minivan est justement en train de se remplir pour retourner à Liu Zhi. Il y a dedans un jeune couple (not married, just boy friend) qui baragouine des mots d’anglais. Ce qui est agréable et fait oublier le froid (pieds gelés).

Autour du poêle

Arrivé en ville, dont les rues sont noires de boue, je fais des courses (et si je goutais cette saucisse qui pend au-dessus de cette devanture ?) et vais à l’hôtel. Il y fait bon, et le chauffage est allumé. Je ressors casser une graine.

Il faut que je m’impose pour avoir accès à internet : le jeune qui tenait la boutique (une salle d’une cinquantaine d’ordis) ne voulait pas m’en confier un, va savoir pourquoi. Je m’assieds alors devant le sien et j’envoie l’adresse en français. Bien sûr, la fenêtre du portail apparait et le gars découvre qu’on peut utiliser son ordi autrement qu’en chinois.

Demain, encore une expédition …